Les forces de l’ordre ont-elles le droit de faire des massacres?
Lundi, en prenant un taxi, le chauffeur, on va le nommer Mahefa, s’est mis à parler de tout et de rien pour faire la conversation. C’est alors qu’il a entamé une histoire d’arrestation faite par la police. Mahefa a commencé par dire qu’il était d’accord que les policiers tuent directement tous les malfaiteurs. Encore faudra-t-il que ce soit le bon, a-t-il rajouté. Très intéressée par son histoire, je lui ai demandé plus de détails.
Alors voilà, Mahefa avait un ami chauffeur de taxi comme lui. Un jour, il a rencontré cet ami confortablement assis dans sa voiture de fonction en sirotant une bière en milieu de journée et en plein centre ville. « Alors, tu ne travailles pas? Ou c’est l’heure d’une pause », a-t-il demandé à son ami qui avait même enlevé sa lanterne de taxi. Ce dernier lui a rapidement expliqué qu’il était loué par trois gars (ou quatre, il n’était pas très sûr) pour la journée. Ils lui ont offert une bière le temps qu’ils aillent voir des connaissances dans les alentours.
Mahefa est reparti conduire un client. C’est le lendemain matin qu’il découvre dans les journaux que son ami a été tué par la police. En fait, les gars qui l’ont loué étaient des brigands traqués par la police. Une fois qu’ils sont tous remontés dans le taxi de l’ami de Mahefa, les policiers ont tiré sur les bandits y compris le chauffeur. Mahefa est prêt à jurer que son ami était un type vraiment bien qui n’aurait jamais pu être un criminel mais par malchance, la police a cru qu’il était de la bande. Mahefa se fout pas mal des bandits tués mais se désole pour son ami.
Ce n’est pas la première fois que la police tue directement les criminels (et même des non criminels). Tiens, par exemple, le 23 mars 2011, dans mon quartier, quelqu’un venait de faire un retrait à un guichet automatique. Des bandits l’ont attaqué, ont volé l’argent et ont pris la fuite. Très vite des policiers sont arrivés. Prise de panique, les malfrats se sont cachés dans un magasin du coin et ont gardé en otage un chinois, le proprio du magasin, et une vendeuse, les ont attaché avec une chaîne et ont tabassé le chinois. Les renforts, notamment les GIR [Groupe d’Intervention Rapide] et les FIS [Force d’Intervention Spéciale], arrivent aussitôt. Un groupe coupe la circulation et bloque les issues, un autre encercle le magasin et un dernier grimpe sur le toit du magasin. Et des bra ta ta ta ta bra ta ta ta ta se font entendre. Les policiers ont tiré sur deux des truands, un a été touché sur le ventre, l’autre sur la tête et sur le cou. Ces bandits sont morts sur le coup. Il parait qu’un troisième a réussi à s’échapper.

Une remarque, ces deux brigands tués par la police n’avaient pas d’armes à feu sur eux. Un ami blogueur, Avylavitra a été sur place et a posté un article (en Malgache) sur cette affaire.
Ai-je tord de me poser cette question? Je croyais que les policiers doivent d’abord essayer d’arrêter les malfaiteurs. Mais si ces derniers tentent de s’échapper, les policiers pourraient par exemple tirer sur les jambes, non pas les tuer pour qu’ils puissent être jugés par la suite. Dans ce que je viens de raconter, la police a tout de suite tiré sur le ventre, la tête et le cou. Moi, je n’ai pas eu le courage de poster l’autre photo dans mon blog, mais si vous tenez à voir un crâne ouvert et un cou troué, cliquez sur ce lien. (Âme sensible, s’abstenir)
Arrêter ou tuer les malfaiteurs?
J’avais l’air débile en demandant à quelques personnes de mon entourage si les criminels doivent être directement tués au lieu d’être arrêtés, jugés et emprisonnés. En gros, la plupart est d’accord à 100% qu’on tue tous les truands sans pitié. Pourquoi? Parce qu’ils pensent que, premièrement, c’est presque habituel d’entendre que des brigands ont réussi à s’échapper de prison (« Vingt prisonniers se sont évadés à Madagascar« , « Dix-sept « criminels dangereux » échappent à la prison« , et bien d’autres encore) sinon, certains criminels paient les gardiens de prison pour que ces derniers les laissent partir. Mon beau-frère, par exemple, a raconté que ses voisins sont de vrais bandits qui volent des voitures, attaquent des foyers, etc. Mais à chaque fois, ils restent un jour ou deux en prison, et hop, ils sont relâchés. Deuxièmement, ces criminels sont habitués à faire le mal, voler, tuer…, une fois dehors, ils vont recommencer alors autant les tuer tout de suite, pensent certains. Troisièmement, quelques-uns l’ont dit: « il n’y a d’ailleurs pas assez de place pour tous les bandits dans nos prisons ». Bref, beaucoup de gens ne se soucieront pas des sorts des malfaiteurs tués par les forces de l’ordre. Je dirai que beaucoup même se réjouiraient à chaque fois que la police en tue un.
J’ai quand même fait quelques recherches pour appuyer mon point de vue et je suis tombée sur cet article « Deux malfrats abattus de sang froid » où le journaliste se pose la même question que moi:
« Les policiers ne pouvaient-ils pas leur tirer dans les jambes comme le suggèrent les règlements ? Ce afin de pouvoir présenter les criminels devant la justice ? »
Malgré que beaucoup disent qu’il faut tuer les criminels, moi, je pense qu’avant tout, il faut respecter le Droit de l’Homme. L’ambassade des Etats-Unis à Antananarivo a publié un document intéressant où elle partage:
« Des éléments de la police et de la gendarmerie ont continué à utiliser sans justification la force létale pendant des poursuites et arrestations. En septembre 2008, la police a abattu par balle un prétendu criminel, blessant en même temps un curieux pendant une poursuite dans un marché à Antananarivo. Dans un incident similaire en octobre 2008 à Ankasina, la police a blessé par balle un prétendu voleur qui a pris la fuite. En 2007, des gendarmes à Bekoby, près de Mahajanga au nord-ouest, a abattu par balle deux frères pour avoir volé la vache d’un voisin; et au cours du même mois, un gendarme a amputé la jambe d’un autre suspect avec une machette pendant une scène de poursuite et d’arrestation, et l’individu a succombé à ses blessures après avoir été auditionné et roué de coups pendant un jour. Aucune action n’a été prise contre les membres des forces de l’ordre responsables de ces décès.
Il n’y a eu aucune enquête publique sur un quelconque cas de violence par les forces de l’ordre ni sous le régime de Ravalomanana ni celui de Rajoelina, et les forces de l’ordre du gouvernement de fait ont continué à agir en toute impunité. Le 26 septembre, un soldat – qui a par la suite été associé à la Force d’Intervention Spéciale (FIS) a blessé par balle une femme à la jambe à Antananarivo. Le premier ministre de fait de l’époque, Roindefo Monja, a déclaré devant la presse que ledit soldat pourrait avoir été sous l’effet de l’alcool, et ce dernier n’a jamais été jugé ni soumis à une action disciplinaire pour cet incident. »
Justement, je n’ai jamais entendu qu’un criminel tué a été autopsié pour voir si le policier qui a tiré était en faute. Aucun gendarme n’a été jugé ni puni à cause de leurs actes. Ce n’est pas étonnant si ces soit disant forces de l’ordre s’acharnent sur leurs « proies ».
J’ai été témoin de brutalités policières:
Vous n’allez peut-être pas le croire mais j’ai déjà passé 24 heures au violon. Non, je ne suis pas ce que vous pensez, pas du tout une criminelle. J’ai été arrêtée par la police par erreur (je vous raconterai les détails une autre fois). En bref, voici ce qui s’est passé.
Il était 6 heures du matin. Un homme est venu chez moi me demander mon nom. Sachant qu’il était de la police, je lui ai dit comment je m’appelle. Il a noté le nom sur un bout de papier. En fait, le bout de papier en question était un mandat d’arrêt. Vous vous rendez compte? Il venait juste de remplir mon nom avant de me remettre le papier.
Le monsieur m’a donc demandé de le suivre. Comme j’étais encore en pyjamas, j’ai demandé à ce que je me change. « Deux minutes, c’est tout ce que tu as. Tu crois que je viens ici pour jouer ou quoi? ». Très vite, je suis remontée réveiller mon frère pour qu’il s’habille aussi. J’ai supplié à ce que mon frère vienne avec moi. « Vous croyez toujours que c’est un jeu? », a grogné le monsieur. Pas très loin de chez moi, j’ai vu une peugeôt 504 où il y avait trois autres flics et une dame qu’ils ont arrêtée aussi (mais qu’ils ont relâchée plus tard). On était donc très serré à l’arrière. « Il n’y a pas assez de place, ton frère, il reste ». Mais mon frère a proposé que je me mette sur ses genoux dans l’auto alors il a quand même pu venir.
Je n’ai pas arrêté de demander les raisons de mon arrestation en clamant mes droits. Tout ce que j’ai eu comme réponse, c’est des insultes que je n’oserai même pas répéter et qu’ils font leur boulot.
Quelques minutes plus tard, on est arrivé à la Brigade Criminelle. Brigade criminelle! J’ai tué quelqu’un? J’ai volé? Je ne sais même pas de quoi on m’accuse. On m’a dit de retirer mes lacets et de confier mes bijoux à mon frère puisqu’il était là. Purée, j’ai compris que je n’étais pas là pour être enquêtée mais pour être enfermée. Vous ne pourriez jamais imaginer la panique que j’ai eue. Et je continue à clamer mes droits. « Quels sont les motifs de mon arrestation? J’ai droit à un coup de fil; je veux appeler un avocat [mon futur beau-père]. » Mais ils n’ont rien voulu savoir. Un homme m’a violemment tiré par le bras pour m’emmener dans une cellule.
Si mon frère ne m’a pas accompagné, personne n’aurait jamais su où j’étais ce jour là. C’est donc lui qui a appelé mon fiancé et ma sœur.
Dès que mon futur (en ce temps là, je n’étais pas encore mariée) beau-père est arrivé. Ils l’ont aussi envoyé balader. « Oh, on ne sait rien de cette affaire. Le chef n’est pas là. Pourquoi ne pas revenir plus tard? » Dès que mon avocat est reparti, le chef est sorti de sa cachette et est venu me voir: « Alors, on joue au dur? Tu vois, ici, c’est moi le chef et ton pauvre con d’avocat, il ne pourra rien pour toi ». Puis il est reparti en ricanant. Tout ce que je pouvais faire c’est pleurer, pleurer de toutes mes larmes.
Le lendemain matin, je suis relâchée comme si de rien n’était. Mais c’était la plus longue nuit horrible que j’ai passée de toute ma vie.
Il y avait dans la cellule d’à côté, celle des hommes, un criminel qu’ils venaient d’arrêter. Ils l’appelaient Rasta. Je ne sais pas de quoi cet homme était accusé mais il en a vraiment bavé; ça, je vous le dis. A chaque fois qu’un brigadier (je ne sais pas leur fonction ou grade) arrive, il y a quelqu’un qui s’empresse de l’informer que Rasta a été arrêté. « Ah, oui, il est là? Hum, je ne lui ai pas encore rendu une petite visite ». Et d’un air ravi, il va voir Rasta et le bat. Et c’est comme ça à chaque fois qu’un gendarme arrive. Soit ces salopards le frappent à coups de bâton de fer blanc, soit lui donnent des coups de poings sur la figure.
Ce Rasta, il devait vraiment être un vilain gars pour être traité comme cela. Franchement, il a reçu des baffes et des baffes. Il a fallu être là pour le croire. Rasta a même été menotté à une des barres de la cellule. A un moment, il demandait à aller au petit coin. Mais le gardien a tout simplement crié: « Tu pisses ou tu chies dans ton froc si tu veux, mais tu ne sors pas de là ». D’ailleurs en parlant de petit coin, on n’avait droit qu’à une sortie la nuit, à 21h je crois, et une seule le matin, à 5h. Sois tu y vas, sois tu le fais dans ta cellule, au coin du mur, pour les autres heures.
Les cris de douleur de Rasta m’ont fait pleurer dans mon cachot. En entendant mes sanglots, le gardien est venu me voir. « Oh, mais qu’est-ce que tu as ma petite? Ne t’inquiète pas, ce gars là est un très méchant bandit. Tu comprends?… Oh, mais tu es toute seule dans ta cellule? Tu as peut-être froid? Attends que je te réchauffe. » Je me suis dit. Voilà, c’est la fin pour moi. On m’arrête pour je ne sais quoi et on va aussi me violer. Mais il ne m’arrivera rien parce que, soudain, on frappe à la porte, d’autres gars, des voleurs, venaient de se faire arrêtés. Alors, ils étaient tous occupés à les enfermer et à donner quelques coups de plus à Rasta.
Cette pénible expérience que j’ai vécu s’est passé en 2007. Si depuis je me suis tue, c’est par peur peut-être, peur d’être arrêtée si jamais je dis du mal des policiers ou peut-être aussi parce que je voulais essayer d’enfouir ces mauvais souvenirs dans l’oubli. A ma place, qu’auriez-vous fait?
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